Favoriser le retour des enfants de la guerre
Dans le nord de l’Ouganda, nombre d’anciens enfants-soldats, ex-captifs de la guerre et familles déplacées de force peinent à retrouver une place dans leurs villages d’origine. YOLRED, une organisation locale, aide ces personnes, avec l’appui de l’ONG Eirene Suisse, à mieux vivre leur retour, à tisser des liens communautaires et à s’en sortir économiquement.
Une partie d’entre eux ont été enrôlés de force par l’Armée de résistance du Seigneur1 afin de combattre comme enfants-soldats durant la guerre civile. D’autres sont nés de mères fécondées par les rebelles durant des années de captivité dans la brousse, entre l’Ouganda et le Sud du Soudan. D’autres encore ont été déracinés par le gouvernement et déplacés avec leur famille dans des camps insalubres et dangereux, où ils ont longtemps dépendu de l’aide humanitaire. Depuis le milieu des années 2000 et la cessation des hostilités, les enfants de cette guerre cruelle essaient de retrouver leurs origines, mais endurent bien des difficultés.
«Rejet, stigmatisation, pauvreté. C’est malheureusement ce qui les attend souvent quand ils rentrent chez eux», regrette Varinia Dieperink, coopérante de l’ONG Eirene Suisse active au nord de l’Ouganda. Dans de nombreux cas, les maris d’anciennes captives ne veulent rien avoir à faire avec les enfants d’ex-combattants rebelles qu’elles ramènent dans leur giron. Les jeunes ayant grandi de longues années dans la forêt n’ont pas non plus d’éducation, de ressources ou de repères qui pourraient les aider à construire leur avenir. Quant aux familles rentrées des camps, elles n’ont souvent pas pu récupérer leur maison et leurs terrains, occupés depuis longtemps par d’autres, et font face à d’importants conflits de territoire.
Soutien psychosocial et formations
Varinia Dieperink travaille pour YOLRED depuis 2022. Fondée en 2016 et dirigée par d’anciens enfants-soldats enlevés dans le nord de l’Ouganda, cette organisation communautaire locale œuvre à la réintégration des ex-combattants et des personnes déplacées par la guerre avec, comme piliers de son travail, la réconciliation et le pardon. «Les victimes du conflit qui tentent de regagner leurs communautés d’origine ont en général connu des violences et des traumatismes, ce qui complique encore leurs efforts de réintégration», précise Geoffrey Omony, directeur de YOLRED et lui-même ancien enfant-soldat enrôlé de force par les rebelles. «Avec l’aide de partenaires, dont Eirene Suisse, YOLRED accorde à ces personnes des moyens de subsistance, propose un soutien psychosocial et délivre des formations professionnelles.» YOLRED propose ainsi des apprentissages en couture, coiffure, ferraillage et mécanique sur motos, détaille Varinia Dieperink. «Nous formons aussi des participants du programme à l’entreprenariat afin qu’ils puissent lancer leur magasin», ajoute-t-elle.
Avec un collègue psychologue, la Vaudoise se rend au contact des anciens enfants-soldats et des personnes déplacées. Elle s’entretient avec eux en langue acholi et assure un suivi écrit, en relevant notamment leurs besoins et leurs manques. Sa mission de fond est de mettre en place un système de documentation. Répertorier les activités de YOLRED doit permettre une mise à disposition immédiate des données et un gain précieux en efficacité. Avant son engagement actuel, elle documentait déjà le suivi médical de victimes de la guerre pour Refugee Law Project, une organisation liée à l’Université de Makerere, active dans la promotion des droits des demandeurs d’asile, réfugié·e·s, déporté·e·s, déplacé·e·s internes ainsi que ceux des communautés qui les accueillent
Une fragilité persistante au retour
Ce n’est pas parce que les hostilités ont cessé depuis longtemps que les déplacements de civils n’ont plus lieu en Ouganda. Au cours de l’été dernier par exemple, plusieurs dizaines de membres de la communauté acholi du nord du pays se sont échappés de République Centrafricaine, après 30 ans de captivité dans la brousse. Ils sont pour l’heure pris en charge par l’armée, mais il y aura forcément des cas de retour difficiles sur les lieux d’origine. Les anciens déplacés vivent souvent dans la précarité, et leur situation fragile a encore été compliquée par la période covid. «Le virus a dévasté l’économie, mais aussi paupérisé et isolé davantage ces personnes», témoigne Samuel Baker Kilama, pasteur à Gulu, ancien déplacé des camps gouvernementaux en situation de vulnérabilité. Lui-même bénéficie d’un soutien pour les frais d’écolage d’un de ses enfants et d’un appui psychologique. YOLRED l’a encouragé, avec d’autres parents, à participer au «dero kwan», un système d’épargne pour les frais scolaires. Au cours des deux prochaines années, Varinia Dieperink et l’équipe de YOLRED vont tâcher de réaliser le rêve professionnel de Geoffrey Omony: créer un manuel pour animer des ateliers sur la réconciliation et le pardon, un procédé inspiré d’une expérience réussie en Colombie. Dans le cadre d’un échange Sud-Sud avec des Colombiens, ces expériences contribueront à l’élaboration du manuel. Les rites acholis, actuellement en perte de vitesse, seront placés au centre de l’initiative, avec notamment pour but de renforcer le sentiment d’appartenance des victimes de la guerre.
1] L’Armée de résistance du Seigneur est un groupe rebelle ougandais qui se présente comme chrétien, impliqué dans des actes de violence, d’enlèvements et d’atrocités.
Le programme d’Eirene Suisse en Uganda est soutenu par la DDC (DFAE), dans le cadre du programme institutionnel d’Unité 2021-2024.