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Jardins Wanga Nègès, l’agriculture, un terreau fertile pour faire pousser des graines de paix

Alors qu’Haïti, en proie à la violence des gangs et à une crise humanitaire sans précédent, voit près de la moitié de sa population souffrir d’insécurité alimentaire aiguë, l’association Jardins Wanga Nègès soutient depuis plus de huit ans l’agriculture familiale paysanne grâce à une approche alliant aide humanitaire, développement local et paix sociale.

Noémie Guignard
Portée par la présence du moulin, la production locale de maïs et de sorgho des régions touchées par les interventions de Jardins Wanga Nègès a considérablement augmenté et certaines familles font plus de deux heures de marche pour pouvoir profiter de ces infrastructures. Photo : Eirene Suisse

C’est une association au nom évocateur. « Jardins » d’abord, qui évoque les traditionnels jardins familiaux qui abondent dans la campagne haïtienne. « Wanga Nègès » ensuite, en référence au colibri qui, selon la légende, lutte contre une incendie goutte après goutte, rappelant que chaque action compte. Ces petites gouttes, Jardins Wanga Nègès les multiplie depuis plus de huit ans dans les montagnes de Boucan Carré, sur le plateau central d’Haïti. Dans un pays ébranlé par des années de crise humanitaire, les actions menées par l’association illustrent comment le Triple Nexus – aide humanitaire, développement et consolidation de la paix – renforce la sécurité alimentaire, la santé et les revenus économiques de la population locale.

Augmenter la souveraineté alimentaire

En Haïti, cultiver la terre est une réalité pratiquée par plus d’un million de familles. Mais produire de la nourriture pour sa propre consommation et pour alimenter les marchés locaux et régionaux ne suffit pas, la plus-value vient surtout de la transformation des produits. Pour répondre à ce besoin et ainsi garantir de meilleurs revenus aux familles paysannes, Jardins Wanga Nègès a donc misé sur l’installation de moulins dans la commune. « Ces moulins incitent les familles à planter, leurs revenus augmentent car ils produisent plus de volume et vendent les produits transformés à des prix plus élevés, détaille Jumel Joseph, l’officier de projet de Jardins Wanga Nègès. Ils permettent également de diminuer la pénibilité du travail, qui est d’ordinaire effectué à la main. » L’importance de ce type d’infrastructures s’est notamment vérifiée lors des récents blocages qui ont paralysé le pays et empêché tout acheminement d’aliments importés. Du petit jour jusque tard dans la nuit, le moulin est alors deux fois plus sollicité que prévu, permettant de garantir de la nourriture au quotidien pour environ 3000 foyers, soit près de 15 000 personnes et d’augmenter leur souveraineté alimentaire.

Développer l’agriculture pour renforcer la communauté

L’approche de l’association ne se limite pas à une réponse humanitaire. Elle travaille aussi à développer les connaissances des familles paysannes à travers des formations en agroécologie, une diversification des cultures et une organisation communautaire. Actuellement, cinq moulins permettent la transformation de divers aliments, maïs, sorgho, riz ou encore arachides. Le succès est tel que l’association envisage l’acquisition de nouveaux moulins, d’une part pour dédoubler les capacités, d’autre part pour diversifier encore les produits à transformer, notamment la canne à sucre. Certaines familles n’hésitent d’ailleurs pas à faire plus de deux heures de marche pour bénéficier de ces infrastructures. « Aujourd’hui, juste avant que vous ne me téléphoniez, le parking du moulin était plein de mulets et d’ânes, c’est gratifiant », se réjouit Sophie Paychère, volontaire envoyée par Eirene Suisse, une organisation spécialisée dans la coopération par l’échange de personnes (CEP) et membre de l’association Unité, afin de soutenir Jardins Wanga Nègès. « C’est intéressant de voir qu’il y a une diversification des cultures, en fonction des moulins à disposition, ajoute Patricia Carron, coordinatrice générale et chargée de programme Haïti au sein d’Eirene Suisse. Et on sait l’importance d’encourager la diversité alimentaire pour éviter des problèmes de malnutrition. » De plus, Jardins Wanga Nègès collabore depuis plusieurs années avec les autorités pour entretenir la piste agricole toute l’année, même en saison des pluies, et ainsi faciliter l’accès aux moulins et aux points de vente alentours.

Cultiver des graines de paix

Lorsqu’on lui demande l’application du Triple Nexus sur le terrain, Sophie Paychère sourit malicieusement : « On n’y réfléchit pas au quotidien. A la base, notre action s’ancre dans le développement mais en prenant du recul, c’est vrai qu’il y a un lien direct entre souveraineté alimentaire et consolidation de la paix. » Une population capable de se nourrir grâce à sa propre production réduit en effet sa dépendance aux circuits d’approvisionnement, limitant ainsi sa vulnérabilité aux crises. En favorisant la sécurité alimentaire et en mettant en valeur le rôle essentiel des familles paysannes, l’association contribue ainsi au développement économique local et ainsi renforce la stabilité sociale. « Ce projet est vraiment l’exemple criant de ce Triple Nexus, poursuit Patricia Carron. Il est une réponse directe à une crise humanitaire qui est devenue problématique depuis trois à quatre ans et, en développant l’agriculture, le projet de Jardins Wanga Nègès renforce l’autonomie de la communauté et cela contribue à la paix, même si en Haïti, on n’en voit pas immédiatement les résultats. » Car pour que la paix puisse faire pousser ses racines, il faut avant tout que les ventres soient pleins et que la terre continue de nourrir celles et ceux qui la cultivent.

Le programme d’Eirene Suisse en Haïti est soutenu par la DDC (DFAE), dans le cadre du programme institutionnel d'Unité 2025­-2028.

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