La coopération par l’échange de personnes, un outil efficace?
En appui au soutien financier apporté aux organisations du Sud global, la coopération par l’échange de personnes (CEP) se présente comme un moyen dynamisant le concept de réciprocité. Potentiellement, elle peut être une condition sine qua non pour donner vie et sens à la localisation du développement.

Ghislain Alofa-Kponve (envoyé DM et chargé de communication du Secaar) et Léo Ruffieux (responsable de l’information à DM) dans les bureaux de DM à Lausanne.
Les mérites de la CEP sont légion. En favorisant l’échange mutuel et l’apprentissage réciproque, elle contribue au développement durable et au renforcement des organisations et des institutions dans le Sud global. Mais pas seulement. Dans le Nord global aussi, les avantages peuvent être conséquents.
Des compétences sont partagées pendant les envois. Grâce à ces mises en commun, des solutions concrètes sont apportées à diverses problématiques propres aux communautés. Les intérêts et les droits des communautés locales sont valorisés au bénéfice de l’ensemble des partenaires. Les envoyé.es constituent, dans la plupart des cas, des ressources humaines au service de l’organisation d’accueil. Ces échanges permettent de renforcer les équipes locales et d’assurer des compétences complémentaires, notamment dans le Sud global. Les envoyé.es ajoutent une valeur considérable au travail des organisations sur place et profitent, à leur tour, d’une expérience humaine et professionnelle unique. Ils et elles s’adaptent aux contextes et aux ressources à disposition sur place pour apporter leur contribution au travail des partenaires locaux. Cela permet aux deux parties de développer davantage d’efficience, de capacité d’adaptation et d’ouverture aux autres. Les profils des envoyé.es sont l’émanation des besoins exprimés par les organisations d’accueil.
À ce titre, la CEP participe à améliorer l’efficacité et la durabilité des projets, en permettant aux organisations et communautés d’accueil de faire leurs propres choix et de les assumer, un pas supplémentaire pour la localisation du développement. L’acquisition de compétences interculturelles très diversifiées est un gain pour toutes et tous. En particulier pour les envoyé.es, le fait pour elles et eux de se frotter à une nouvelle culture édifie leur approche face aux enjeux mondiaux. Grâce aux envois, ils et elles développent aussi leurs propres compétences en travaillant dans des environnements différents. Dans certains cas, l’envoi peut être une opportunité de carrière supplémentaire par le réseautage qu’il facilite.
Expérience du Secaar
Au Togo, en quelques années, le Secaar a pu explorer de nouvelles pistes de travail grâce à la CEP. C’est le cas des jardins scolaires agroécologiques. Le projet a été porté pendant quelques années par des envoyé.es qui ont lancé et entretenu le système avant de le confier à leurs collègues locaux.ales. Les envoyé.es apportent aussi des améliorations à des actions existantes. Le volet communication du Secaar a pu être professionnalisé par des envoyé.es. De la charte graphique à la production d’ouvrages, en passant par la gestion des réseaux sociaux, du site internet, etc., la communication a été portée en grande partie par des envoyé.es.
Les échanges humains contribuent à forger ces hommes et femmes envoyé.es au Secaar aussi dans leur propre développement personnel et professionnel. Les rencontres les enrichissent et ont certainement un impact sur leur choix de carrière et projets divers. De plus, grâce à leur travail, ils et elles acquièrent ou renforcent leurs compétences en agroécologie et gestion de projets.
Enfin, au niveau global, la coopération par l’échange de personnes du Nord vers le Sud global reste un outil adapté pour apporter un plus aux efforts de développement des communautés. Les bénéficiaires des programmes du Secaar ont profité directement ou indirectement du travail des envoyé.es. Cela s’est traduit par des formations dispensées ou la production de documents, par exemple. Le travail des envoyé.es bonifie aussi les expériences particulières des populations. La production d’un Manuel de bonnes pratiques écologiques1 en 2020, a été, par exemple, une mise en valeur du travail des producteur.trices accompagné.es par le Secaar au Togo et au Bénin.
Dans le sens inverse, les envois Sud global-Nord global permettent de jouer le même rôle, d’autant que les expériences partagées profitent aussi bien aux communautés d’arrivée qu’à celles de départ. Les envoyé.es du Sud global reviennent innover, après avoir apporté à leur organisation d’accueil des nouvelles façons de faire et d’appréhender le travail. Le Secaar expérimente également cette approche depuis quelques années. Elle bénéficie au Réseau dans sa totalité. Les expériences sont partagées lors des rencontres2. Développer davantage les envois du Sud global vers le Nord et les échanges Sud-Sud pourra aider, en partie, à faire face à certains défis rencontrés dans l’échange de personnes. Ces mises en relation pourront permettre de renforcer et/ou valoriser davantage les compétences du Sud global et dynamiser les relations entre organisations du Sud.

Mer de brouillard
Les échanges ne vont pas sans difficultés : le décalage horaire, les défis d’acclimatation, l’adaptation aux mode et conditions de vie dans la zone d’accueil, les questions administratives sont des turbulences qui peuvent perturber un envoi. Certain.es envoyé.es risquent de déchanter à cause des conditions de vie complexes auxquelles ils et elles sont confronté.es à leur arrivée sur le terrain. L’imaginaire conçu autour de la zone d’accueil peut également être source de frustration lorsqu’un décalage énorme subsiste entre préjugés et réalités observées.Certain.es envoyé.es ont été confronté.es au refus de visa et à divers défis administratifs, d’autres ont eu des problèmes de santé. L’échec des essais, en ce qui concerne l’agroécologie par exemple, ou l’échec des expérimentations plus globalement peut démotiver l’envoi, être source de stress, de perte de temps.
Plus en rapport avec les organisations d’accueil, l’on peut voir émerger des problèmes de cahier de charges ou des relations humaines compliquées avec les collègues sur place. Et tout cela rend l’aventure rude.
De plus en plus, les organisations d’accueil devront mesurer et prévenir ces risques. Il faut mettre en place des mécanismes sur la base des échecs du passé et surtout être à l’écoute des envoyé.es. Les réalités n’étant pas les mêmes partout, il faut prendre en compte les besoins exprimés par les envoyé.es et y apporter des réponses dans la mesure du possible. Les organisations d’envoi devront aussi amoindrir le risque. Dans le cas de DM, plusieurs formations sont dispensées avant l’envoi. Des échanges sont organisés entre l’envoyé.e et les référent.es de l’organisation d’accueil pour préparer l’expérience. Ces actions devront être consolidées, afin de garantir le plein succès des envois.
Il est important aussi de souligner que la tolérance, l’acceptation de l’autre et la CEP ont toujours formé un important triptyque et devront continuer à constituer un trio gagnant. Le dialogue doit être continu entre l’ensemble des parties pour la réussite du projet.

CEP, localisation, réciprocité
La localisation se veut un transfert du pouvoir, des ressources et de la prise de décision aux actrices et acteurs locaux.les dans le cadre des initiatives de développement. La vision est noble.
La réciprocité est déjà présente dans les envois, quelle que soit la direction de celui-ci (Sud-Nord, Nord-Sud). Favorisant un apprentissage mutuel et une collaboration équilibrée, la CEP nourrit la réciprocité. Au niveau organisationnel, cette réciprocité est aussi vivante. Les envois favorisent l’autonomie des organisations du Sud global, par exemple. Généralement, les envoyé.es assistent les partenaires locaux sur des projets déjà existants. Ils et elles intègrent les équipes et ne sont pas les premier.ères décisionnaires au sein des organisations d’accueil notamment.
Néanmoins, cet avis peut être nuancé. L’indépendance décisionnelle à laquelle sont appelé.es les acteur.trices des organisations d’accueil dans le Sud global est-elle pour autant entière ? Même si les envoyé.es ne décident pas, ils.elles peuvent influencer les décisions, en raison de la perception de proximité avec l’organisation partenaire du Nord global. Les partenaires du Sud global peuvent nuire à la réciprocité et à la localisation. En effet, une forme de « soumission volontaire » reste encore ancrée dans les habitudes et risque ainsi de faire barrage à l’autonomisation.
Ce texte est d'abord paru dans le >> DM Magazine « Nos actualités sur le terrain » (N° 17, mars 2025 - mai 2025).
La collaboration entre DM et Secaar est soutenu par la DDC (DFAE), dans le cadre du programme institutionnel d’Unité 2025-2028.
