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Lorsqu’il y a une inégalité d’accès aux ressources, les rapports de pouvoir s’ensuivent

La « localisation », ce n’est plus seulement un slogan dans la coopération au développement. Elle devient de plus en plus une réalité, ou en tout cas, un voeu pieux dans la conception et la mise en place de projets de coopération au développement. En effet, pour que les programmes et les projets puissent se dérouler dans les bonnes conditions, il est indispensable qu’ils soient axés sur les besoins des populations concernées et qu’ils soient ancrés localement. Néanmoins, dès lors que l’argent entre en jeu, il est (presque) inévitable qu’un rapport de pouvoir se construise entre celui qui détient les ressources financières, et celui qui en a besoin. Cette logique, de prime abord simple, s’applique bien sûr aussi à notre thématique qu’est la coopération au développement par l’échange de personnes.

Justine Bonguardo

La perspective croisée d’une de nos organisations membres, E-CHANGER et d’une de leurs organisations partenaires au Burkina Faso, le Balai Citoyen, permet d’éclairer cette question avec un exemple concret. Nos deux interrogé·e·s, Ousmane Miphal Lankoandé, Secrétaire exécutif du mouvement social burkinabè, et Frédérique Sorg Guigma, Secrétaire générale d’E-CHANGER, nous ont partagé les défis que cela représente.

Le Balai Citoyen est une des organisations partenaires qu’E-CHANGER soutient dans son programme au Burkina Faso. Comment le partenariat s’est-il fait ?

Frédérique Sorg Guigma. Nous avons approché le Balai Citoyen parce que c’est une organisation que nous voyons comme étant proche de la façon dont nous souhaitons travailler et de nos valeurs – en l’occurrence la promotion des droits humains, de l’exercice militant citoyen, de l’approche inclusive. Les organisations que nous approchons doivent déjà avoir une certaine solidité. Toutefois, ce qui est le plus important, ce n’est pas uniquement la taille de l’organisation partenaire, mais surtout sa capacité à absorber l’appui souhaité.

Ousmane Miphal Lankoand. Pendant longtemps, nous ne nous sommes pas tourné-e-s vers des bailleurs institutionnels. Nous nous en étions toujours gardé·e·s que le Balai Citoyen devait être piloté de manière endogène de par sa nature de mouvement populaire. Cependant, nos ressources étaient limitées, et nous voulions avoir un plus large impact. Nous avons alors accepté qu’E-CHANGER nous apporte un soutien.Ce qui est important et qui fait la différence majeure avec d’autres organisations d’entraide, c’est qu’E-CHANGER appuie véritablement les objectifs de notre mouvement.

Comment se traduit concrètement ce partenariat ?

Ousmane Miphal Lankoand. Avec E-CHANGER, tout d’abord, nous sommes dans la même compréhension et le même dynamisme. Ils nous ont mis à disposition, après une demande de notre part, une personne pour nous appuyer afin de formaliser nos procédures, pour rendre notre organisation beaucoup plus solide et compétitive.

Que signifie pour vous la « localisation de la coopération au développement » ? Dans quelle mesure est-elle importante pour vous ?

Ousmane Miphal Lankoand. C’est une thématique abordée depuis longtemps, qui insiste sur le fait que les actions de développement doivent véritablement être initiées par les populations ellesmêmes – plutôt que de manière verticale. Elles doivent viser une mobilisation authentique des acteurs locaux, en partant de leurs besoins pour mieux les soutenir. De notre côté, notre proximité et notre ancrage au sein des communautés locales constituent nos principaux atouts.

Frédérique Sorg Guigma. Dans le travail que fait E-CHANGER, qui vise à lutter pour plus de justice sociale, nous ne pouvons pas travailler sans appropriation locale. C’est une notion qui est indispensable. L’appropriation locale et la localisation sont primordiales pour la réussite des projets afin que les effets de ces derniers soient effectivement enracinés et qu’ils correspondent à ce que souhaite une communauté ou une organisation locale.

Est-il difficile de trouver un équilibre entre les besoins de la population locale et les exigences des donateurs ? Comment établissez-vous les priorités dans vos programmes ?

Ousmane Miphal Lankoand. Dans notre partenariat avec E-CHANGER, c’est nous qui définissons nos propres priorités. Comme mentionné, au travers de l’affectation d’une coopérante, et cela fonctionne très bien. Avec d’autres partenaires ou donateurs du Nord, nous exigeons aussi systématiquement que nos propres objectifs soient prioritaires. Mais, ce n’est pas toujours facile. De notre expérience, nous constatons qu’il n’est pas aisé de trouver le parfait équilibre.

Frédérique Sorg Guigma. Si nous ne prenons pas en compte les besoins de la population locale concernée, le risque est d’avoir des projets « hors-sol », autrement dit inadaptés. Ces projets vont d’autant plus renforcer la dépendance des organisations partenaires si les idées sont imposées par le bailleur de fonds. C’est pourquoi nous travaillons toujours, et seulement, avec une demande formulée par l’organisation partenaire et qui fait ensuite l’objet d’une co-construction. Les affectations de professionnel-l-es organisées par E-CHANGER sont toujours liées à un besoin de l’organisation partenaire. Elles sont donc au plus proches des besoins de la population locale.

Pour vous, il y a une asymétrie de pouvoir entre les bailleurs de fonds, et vous les ONG ?

Frédérique Sorg Guigma. Les bailleurs de fonds disposent de ressources, notamment d’argent, dont les ONG ont besoin. Il y a ainsi toujours un rapport de pouvoir dans ce cas de figure, mais cela vaut pour la coopération au développement, comme pour tous les autres domaines. Nous agissons dans un contexte qui reste structurellement inégal. Notre souhait c’est de nous positionner dans des relations de partenariat équilibrés, aussi avec les bailleurs de fonds.

Actuellement, la pression est grandissante sur les ressources des organisations qui travaillent dans la coopération internationale. Nous le vivons à E-CHANGER. Cela nous oblige à mettre, dans le cadre de nos partenariats, davantage l’accent sur le suivi-évaluation et sur les capacités des organisations partenaires à planifier, puis à rapporter précisément les activités qu’elles mènent et que nous appuyons. C’est une logique qui n’est pas toujours simple à mettre en oeuvre pour certaines organisations partenaires.

Ousmane Miphal Lankoand. Il existe une véritable asymétrie de pouvoir, inévitablement en faveur de celui qui détient les ressources. Plus nous avançons et recevons des ressources, plus les conditions qui nous sont imposées se multiplient, tentant ainsi de nous orienter dans une direction précise.

Comment contrer cette asymétrie de pouvoir de décision ?

Ousmane Miphal Lankoand. Nous savons que les ONG du Nord sont dépendantes des bailleurs de fonds. Pour contrer cette asymétrie, il s’agit de voir comment la coopération peut être repensée, pour que les ressources arrivent véritablement au niveau de la base. Cela veut aussi dire discuter avec les ONG du Sud. Cependant, ce n’est pas uniquement la responsabilité des ONG ni des bailleurs du Nord. Les organisations locales doivent également se poser la question : existe-t-il des ressources internes pouvant compenser cette dépendance aux bailleurs de fonds ? Peut-être que cela pourrait contribuer à rééquilibrer cette asymétrie.

Frédérique Sorg Guigma. Nous sommes dans des contextes globaux qui obéissent à des normes occidentales, capitalistes, qui régissent les rapports de pouvoir ; la coopération internationale s’inscrit là-dedans. Tant que c’est le cas, il est presque impossible de pouvoir changer réellement cette asymétrie. Cependant, un petit pas dans la bonne direction serait d’unifier les exigences des différents bailleurs de fonds par rapport au suivi-évaluation afin d’y consacrer moins de temps et de ressources. Cela permettrait de soutenir davantage nos partenaires dans les pays.

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